Yoshimi Inoue (井上佳見, 1946-2015)
La vie de Yoshimi Inoue comme une légende vivante, un roman de chair, d’esprit et de souffle, où l’homme et le karaté se confondent.
Dans une petite ville de la préfecture de Tottori, là où les dunes se dessinent comme des vagues pétrifiées, naquit en 1946 un enfant frêle qu’on appela Yoshimi Inoue.
Là-bas, le vent de la mer du Japon n’est jamais silencieux : il apprend très tôt aux hommes la patience, la rudesse, mais aussi la poésie des choses simples.
Le jeune Inoue grandit dans ce climat de sable et d’air salé. Ses gestes d’enfant étaient déjà empreints d’un certain ordre, comme si son corps savait qu’un jour il deviendrait l’instrument d’une transmission. À l’âge où d’autres cherchent encore leur place, lui entra dans le dōjō et s’inclina devant le tatami comme on entre dans un temple. Le karaté ne fut pas pour lui un sport, ni même une discipline : ce fut une voie.
Sous l’aile de Shōgō Kuniba, héritier du Shitō-ryū, il apprit que chaque mouvement n’est pas seulement une technique, mais une calligraphie invisible dans l’air. Un blocage, c’est une affirmation de vie. Un coup de poing, c’est un mot qu’on adresse au monde. Inoue était attentif, presque religieux, devant la précision des formes.
Mais l’homme n’était pas destiné à imiter seulement. Il avait en lui une flamme créatrice, ce besoin de polir la pierre jusqu’à en faire un diamant. Peu à peu, il forgea son propre style, l’Inoue-ha Shitō-ryū Keishin-kai : une lignée où le kata ne devait pas être un enchaînement mécanique, mais un poème en mouvement, une danse guerrière où se rencontrent force et beauté.
Il n’aimait pas briller lui-même. Il préférait que d’autres portent sa lumière. Dans le petit dōjō de Tottori, des jeunes venaient à lui. Ils ignoraient souvent que cet homme au regard calme et à la posture modeste allait les transformer en champions du monde. Il savait voir ce que chacun portait de singulier : chez l’un, une grâce secrète, chez l’autre, une puissance cachée. Il ne formait pas des soldats, il réveillait des artistes.
Ainsi naquirent sous ses yeux des étoiles du karaté : Mie Nakayama, Rika Usami, Ryoko Abe, Antonio Diaz… Tous avaient en commun ce souffle intérieur que le maître savait éveiller. Avec eux, le kata devint non seulement un exercice, mais un théâtre sacré : chaque pas, chaque regard, chaque kiai frappait comme une vérité nue.
Ce qui faisait sa force, c’était la fusion de la rigueur et de la poésie. « Le kata, disait-il, n’est pas une coquille vide. C’est une bataille intérieure. Quand tu le réalises, tu dois être à la fois le vent, la vague et la montagne. »
À travers ses élèves, il prouvait que le karaté n’est pas seulement une science du combat, mais un art capable d’émouvoir.
En mai 2015, son corps s’éteignit. Mais dans les dojos du monde, on continue d’entendre son murmure. Dans chaque kata parfaitement exécuté, il y a un peu de son regard exigeant, un peu de ce vent de Tottori qui sculptait déjà son enfance.
Yoshimi Inoue n’était pas un conquérant. Il n’était pas un politique. Il était un passeur de souffle, un homme qui fit de la technique un langage, et du langage une poésie éternelle.
Et aujourd’hui encore, lorsqu’une main se lève dans un gedan barai, lorsqu’un pas retentit sur le tatami, quelque chose de lui renaît : une élégance invisible, une intelligence silencieuse, une poésie de combat.

Commentaires
Enregistrer un commentaire