Hiroshi Shirai (白井 寛)

 



Il était né à Nagasaki en 1937, dans une ville qui connaissait trop bien le feu et les cendres. Mais le jeune Hiroshi Shirai ne regardait pas en arrière : son destin se dessinait dans la discipline, la rigueur et le souffle. Quand il poussa pour la première fois les portes du JKA Honbu Dojo à Tokyo, il fut happé par le rythme des pas frappant le parquet, par l’écho des kiai, par la présence de maîtres dont les noms résonneraient dans l’histoire : Masatoshi Nakayama, Hidetaka Nishiyama, Kanazawa, Kase, Enoeda.
Shirai s’imposa rapidement comme un karatéka puissant, solide, mais aussi méticuleux. Ses kumite étaient fulgurants, mais c’est dans les kata qu’il trouva une dimension nouvelle : le langage secret du karaté, son âme.
En 1962, il participe à la grande mission de la JKA pour diffuser le Shotokan à travers le monde. L’Europe s’ouvre devant lui, comme un continent à apprivoiser. Après avoir traversé plusieurs pays, c’est en Italie qu’il s’enracine, en 1965.
Là, il trouve un peuple passionné, au tempérament ardent. Les jeunes Italiens découvrent dans le karaté non seulement une discipline martiale, mais une voie de transformation. Shirai devient alors le père du karaté italien.
Il ne se contente pas d’enseigner : il structure. Il fonde la FIKTA (Federazione Italiana Karate Tradizionale e Discipline Affini) et organise un système clair de progression, d’examens, de stages nationaux. Ses stages à Milan, à Rome, à Vérone deviennent des pèlerinages : des centaines de karatékas s’alignent, transpirant à l’unisson, suivant sa voix puissante.
Son rôle n’est pas seulement technique, mais fondateur : il établit des règles, trace des lignes, façonne une identité. Le karaté en Italie ne sera plus jamais un simple sport d’importation ; il deviendra une école vivante, enracinée.
Et puis viennent ses élèves, les champions qu’il forme avec patience et exigence.
Carlo Fugazza, connu pour sa précision chirurgicale dans les kata.
Roberto Mauri, passionné de bunkai, qui continue à répandre l’enseignement de son maître.
Paolo Bolaffio, compétiteur brillant devenu instructeur.
Et tant d’autres qui porteront haut les couleurs de l’Italie lors des championnats du monde de karaté traditionnel.
Shirai, lui, reste fidèle à son credo : le karaté n’est pas une simple compétition, c’est une voie (dō 道). Mais paradoxalement, c’est lui qui donne à l’Italie certains des meilleurs compétiteurs d’Europe et du monde, parce qu’il forme des guerriers complets, enracinés dans la tradition mais capables de briller dans l’arène moderne.
Dans les années 1970 et 1980, il organise de grands séminaires européens, rassemblant parfois plus de mille pratiquants. L’Italie devient, grâce à lui, un centre névralgique du karaté traditionnel en Europe, rivalisant même avec la France et l’Allemagne.
Son style ? Une pédagogie rigoureuse mais charismatique. Ceux qui ont transpiré sous son regard racontent qu’un simple froncement de sourcil suffisait à imposer silence et concentration. Mais une fois la rigueur passée, il offrait des démonstrations de bunkai d’une intensité presque théâtrale : coups fulgurants, projections, clés, tout ce que le kata contient de vivant, de dangereux, de poétique.
Les années ont blanchi ses cheveux, mais jamais ses poings ni son regard. Lorsqu’il dirige encore des stages, sa voix résonne comme autrefois : « Yoi ! Hajime ! » — et des générations entières se redressent, prêtes à répéter encore une fois le mouvement juste.
Aujourd’hui, on le salue comme 9ᵉ dan, l’un des plus hauts grades du Shotokan. Mais au-delà des titres, son héritage est plus vaste : un peuple de karatékas italiens et européens qui lui doivent leur art, leur passion, leur discipline.
Dans le silence des dojos, son nom reste murmuré comme celui d’un patriarche. Et dans les gestes des kata, dans l’ancrage des positions, dans la respiration calme avant le kiai, vit encore l’empreinte invisible de Hiroshi Shirai, le maître venu du Japon qui fit de l’Italie une terre de karaté.

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Chōjun Miyagi

Yoshitsune