Matsumura Sōkon (松村 宗棍,
1809-1899), les saisons de son existence, avec ses ombres, ses éclats, et ce parfum d’Okinawa qui flotte dans ses pas.
1809, Shuri.
Un enfant naît dans une famille modeste de la vieille capitale du royaume de Ryūkyū. Le petit Sōkon grandit entre les murs blancs du château de Shuri, dont les toits laqués reflètent le soleil comme une mer immobile. Les rues bruissent de chants et de danses, mais aussi de murmures sur les samouraïs du royaume, gardiens de la paix et du protocole. Personne encore ne sait que cet enfant deviendra l’un des piliers de tout un art.
1820, l’âge des découvertes.
À onze ans, son corps est maigre mais son regard brûle. On dit que Sōkon possède une énergie indomptable. Un vieux maître l’initie d’abord aux rudiments du tegumi (lutte d’Okinawa), puis le jeune garçon rencontre Tōde Sakugawa et la voie s’ouvre. Chaque soir, il s’entraîne sous la lune, répétant les mouvements lents et précis que son maître lui confie. Les gestes d’abord maladroits deviennent souples, tranchants comme une lame de sabre.
1828, la jeunesse ardente.
À dix-neuf ans, Matsumura est déjà reconnu. Ses poings frappent l’air avec une élégance redoutable. On l’envoie étudier auprès de maîtres chinois, puis il rencontre Iwah, un expert de jigen-ryū, l’art martial du sabre. L’empreinte du sabre reste gravée dans ses frappes : rapides, directes, implacables. Ses techniques cessent d’être seulement celles d’un combattant à mains nues, elles deviennent une stratégie, une science.
1836, le service du roi.
À vingt-sept ans, Sōkon entre au service du roi Shō Kō. Sa silhouette élancée, sa démarche calme et mesurée, contrastent avec l’autorité qu’il impose. Il devient garde du palais, puis instructeur militaire. Dans les cours intérieures du château, il enseigne aux gardes les postures solides et les coups fluides, exigeant discipline et dignité. L’homme au regard perçant devient le pilier du royaume.
1840-1850, le maître voyageur.
Des ambassades l’envoient en Chine et au Japon. Chaque fois, Matsumura observe, apprend. Il croise le tai chi, le chuan fa, et en revient avec des mouvements plus ronds, plus profonds. Au Japon, il étudie encore le jigen-ryū. Dans son esprit, tout s’assemble : le souffle du dragon chinois, la rigueur du sabre japonais, l’ancrage d’Okinawa. De ce brassage naît son art.
1860, l’homme respecté.
On raconte que nul n’osa jamais franchir son regard. Les ruelles de Shuri bruissaient de récits : « Matsumura a terrassé un taureau à mains nues », « il a vaincu sans frapper », « ses pas résonnent comme un tambour de guerre ». Certains relèvent de la légende, mais tous disent la même vérité : Matsumura n’était pas seulement un combattant, mais une présence.
1870-1880, la transmission.
Vieillissant, Matsumura enseigne à Ankō Itosu, qui portera plus tard son héritage dans les écoles. Le vieux maître, aux cheveux blanchis, marche encore dans les jardins du château, ses mains fines dessinant dans l’air les formes de Passai, Naihanchi et Chintō. Ses élèves le regardent comme on regarde un chêne, enraciné dans l’histoire mais tendu vers l’avenir.
1899, la fin d’un siècle.
À quatre-vingt-dix ans, Matsumura s’éteint. Son souffle rejoint les ancêtres. Mais dans les dojos d’Okinawa, son esprit persiste : la puissance du sabre invisible, la souplesse des gestes venus de Chine, la dignité du samouraï d’Okinawa.
Il ne laissa pas seulement des katas, mais une manière d’être : ferme, élégant, fidèle au devoir.
Ainsi, sa vie ressemble à un roman d’initiation, de voyage et de transmission. Un enfant de Shuri devenu le bushi le plus respecté du royaume, dont chaque pas résonne encore dans les tatamis du monde entier.

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