Masatoshi Nakayama
Le vent des montagnes de Yamaguchi soufflait souvent sur la maison où naquit Masatoshi Nakayama, en 1913. Dans cette famille de médecins traditionnels, on parlait de santé, de souffle vital, d’équilibre des énergies. L’enfant, curieux et vif, observait déjà la discipline de son père et la sagesse de ses aînés. Mais dans son cœur brûlait une autre flamme : le désir du combat et de la vérité que l’on trouve dans les arts martiaux.
Adolescent, il maniait le shinai du kendo avec ardeur. Mais ce n’est qu’à l’université de Takushoku qu’il trouva la voie qui allait marquer son destin. Là, un vieil homme venu d’Okinawa enseignait un art étrange, sans armure, sans sabre, mais avec des poings et des pieds aiguisés comme des lames. Cet homme s’appelait Funakoshi Gichin.
Nakayama fut bouleversé. Funakoshi n’avait rien d’un guerrier flamboyant : calme, sobre, humble. Mais chaque geste portait une intensité qui dépassait la simple technique. Le jeune Nakayama comprit que ce karaté n’était pas seulement un art de se battre, mais une voie pour se construire.
Leçon de vie :
Le vrai maître n’enseigne pas seulement des techniques. Il révèle une façon de respirer, de marcher, d’exister.
Après ses études, Nakayama se plongea entièrement dans le karaté. Le Japon connaissait la guerre, la misère, la reconstruction. Mais lui, avec un esprit clair, voyait plus loin. Il savait que cet art devait s’adapter à son temps. Alors il chercha à comprendre le karaté non seulement par la tradition, mais aussi par la science. Il analysa les positions, mesura les angles, observa la puissance générée par la hanche.
Il répétait sans cesse à ses élèves :
« Le corps doit être comme un arc. Plus il est détendu, plus la flèche part vite et droit. »
Ainsi naquit un Shotokan plus vif, plus explosif, plus efficace.
Leçon de karaté :
La vitesse naît du relâchement, non de la crispation. La puissance vient de l’unité du corps, non de la force brute.
Dans les années 1950, le maître Funakoshi s’éteignit. Beaucoup de disciples hésitaient, doutaient. Fallait-il rester dans la tradition stricte, ou ouvrir le karaté au monde moderne ? Nakayama prit la responsabilité. Il assuma le rôle de capitaine d’un navire lancé sur une mer nouvelle : la Japan Karate Association (JKA).
Son charisme attira autour de lui une génération de tigres : Enoeda, Kanazawa, Asai, Shirai, Kase, Ochi…. Chacun d’eux allait porter la flamme à travers l’Europe, l’Amérique, l’Afrique. Nakayama leur donnait cette mission avec une conviction simple :
« Ne gardez pas le karaté pour vous. S’il reste enfermé au Japon, il mourra. Mais si vous le semez dans le monde, il vivra pour toujours. »
Leçon de vie :
La transmission est plus grande que la possession. Ce qu’on garde se perd, ce qu’on partage devient éternel.
On raconte que ses entraînements étaient impitoyables. Les coups de poing claquaient, les kiais faisaient trembler les murs. Mais derrière cette rigueur, il y avait une grande bienveillance. Il voulait que chaque élève découvre sa propre force intérieure. La compétition, il la respectait, mais il rappelait toujours que l’essentiel n’était pas la victoire.
Un jour, un élève, fier d’avoir gagné un tournoi, vint à lui. Nakayama lui dit simplement :
« Tu as vaincu ton adversaire, mais as-tu vaincu ton orgueil ? »
Leçon de karaté :
Le plus grand combat est celui qu’on mène contre soi-même.
À partir des années 1970, Nakayama publia ses célèbres ouvrages, la série Best Karate. Chaque photo, chaque explication était claire, nette, presque chirurgicale. Il voulait que même quelqu’un qui n’avait jamais rencontré un maître puisse ressentir l’essence du karaté dans ces pages.
Mais derrière cette précision, il y avait un homme qui doutait parfois, qui se demandait si le karaté pouvait rester pur dans un monde moderne, s’il ne deviendrait pas seulement un sport ou un spectacle. Ces doutes ne l’arrêtèrent jamais. Au contraire, ils le poussèrent à travailler encore plus.
En 1987, Maître Nakayama quitta ce monde. Mais ceux qui l’ont connu disent que même malade, même fatigué, son regard restait vif, sa voix claire. Son karaté, lui, continue de vivre, dans chaque dojo où l’on frappe le sol d’un osu, dans chaque kihon répété avec sincérité.
Dernière leçon :
Un maître n’est pas celui qu’on se souvient comme une statue. C’est celui dont les gestes vivent encore dans les gestes de ses élèves.

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