Hiroo Onoda
L’île de Lubang s’étendait, silencieuse et sauvage, sous un ciel que les nuages semblaient hésiter à couvrir. Là, dans les montagnes épaisses, un jeune officier japonais avançait pas à pas, chaque mouvement calibré, chaque regard vigilant. Hiroo Onoda n’était pas seulement un soldat : il était une discipline incarnée, un engagement vivant de loyauté et de patience, une flamme solitaire dans la nuit de la guerre.
Lorsque les ordres furent donnés, il sut qu’il ne devait jamais se rendre. Pas même si le monde entier tombait autour de lui. Cette injonction, il la porta dans ses muscles, dans son souffle, dans la courbure précise de ses épaules. La guerre semblait se prolonger pour lui seule, même lorsque les canons se turent et que les hommes d’armes rentrèrent chez eux. Pour Hiroo, l’ennemi était encore là, tapi dans l’ombre des forêts, et son devoir demeurait.
Les années passèrent, et le temps devint un allié et un maître. Il apprit à écouter le vent dans les feuilles, à sentir le sol sous ses pieds nus ou chaussés de bottes usées. Chaque pas, chaque repos, chaque frisson de la jungle était une leçon : patience, observation, anticipation. La survie n’était pas une chance ; elle était un kata de vie, répétée avec rigueur, dans lequel chaque détail importait, chaque erreur pouvait être fatale.
Mais la discipline, si parfaite soit-elle, pouvait devenir prison. Hiroo vit tomber ses compagnons un à un, soit par désespoir, soit par l’acceptation de la paix. Lui seul demeurait, fidèle à l’ordre, fidèle à la forme. C’était une leçon cruelle : la maîtrise des arts martiaux n’enseigne pas seulement la force, mais l’équilibre entre loyauté et discernement, entre rigidité et adaptation.
Alors vint Norio Suzuki, étudiant curieux et audacieux. Il portait des preuves, des mots et des images venues d’un monde oublié. Hiroo les examina, mais ses yeux ne se laissèrent pas séduire. Il avait appris à faire confiance seulement à l’autorité légitime, à l’ordre clair et direct. Ce n’était pas obstination : c’était une pratique martiale, appliquée à la vie. La souplesse n’était pas dans le doute, mais dans la compréhension de l’ordre qui guide l’action.
Quand enfin son ancien supérieur apparut, Hiroo comprit que le kata de sa vie, répété pendant trente années de solitude et de vigilance, pouvait enfin se clore. Il déposa les armes, mais non pas comme un vaincu, mais comme un homme qui avait atteint l’extrême limite de la discipline, de la patience et de l’endurance.
Dans cette histoire, le véritable enseignement martial n’est pas dans la victoire contre un ennemi tangible, mais dans la bataille contre soi-même : la maîtrise de ses instincts, de sa volonté, et la capacité à rester ferme tout en apprenant à plier avec le monde. Hiroo Onoda montrait que le guerrier ultime n’est pas celui qui frappe le plus fort, mais celui qui sait attendre, observer, et comprendre le moment exact pour agir ou relâcher sa vigilance.
Et ainsi, l’homme qui ne savait pas que la guerre était finie devint, paradoxalement, un maître de la paix intérieure, car il avait combattu le temps, la solitude et la confusion avec la rigueur d’un kata invisible, imprimé dans ses muscles et dans son esprit.

Mamoru
RépondreSupprimerDans un kata, le concept des deux soi va bien au-delà de la simple technique ou de la self-défense conventionnelle où l’on conseille de fuir. Ici, il ne s’agit pas de sauver sa vie en courant, mais de préserver sa force intérieure, son honneur et sa présence morale.
Le soi qui agit :
C’est celui qui exécute les mouvements, avec précision, intention et énergie.
Il applique les techniques comme si chaque geste avait un poids vital, sans hésitation, mais avec maîtrise et respect des principes martiaux.
Il représente la discipline, la lucidité et la détermination, la partie de toi qui ne flanche pas face à l’adversité.
Le soi qui doit être protégé :
RépondreSupprimerCe n’est pas seulement le corps physique, mais la dignité, la cohérence intérieure, la force morale.
C’est ce "je" fragile mais sacré que le kata engage à défendre coûte que coûte.
Protéger ce soi signifie agir avec courage et clarté, même lorsque le danger ou la difficulté sont symboliques, comme dans le kata, ou réels dans la vie.
Le lien avec l’honneur et la morale :
Le kata impose une lutte codifiée, où chaque technique est une réponse juste à une menace fictive.
En agissant selon ces règles, on apprend à se défendre sans se trahir, à exercer sa puissance sans perdre son intégrité.
La dissociation des deux soi permet de travailler la résistance intérieure, de se préparer à faire face à la réalité sans compromis sur son honneur.
RépondreSupprimerEn résumé : le kata enseigne qu’on peut et doit se battre pour soi-même, mais selon les principes de maîtrise et de dignité. On protège non seulement son corps, mais son essence, sa force morale et son honneur.
Le concept de 「守る」(mamoru), littéralement protéger, peut s’appliquer au soi intérieur autant qu’au corps. Mais ce n’est pas assez précis pour rendre l’idée des deux soi.
Plus proche de ta notion serait :
「身心一如」(shinshin ichinyo) – unité du corps et de l’esprit.
Dans le kata, le corps agit pour protéger l’esprit, et l’esprit guide le corps. Cela reflète bien la dissociation active entre le soi qui exécute et le soi à protéger.
RépondreSupprimer「自他共存」(jita kyōzon) – coexistence de soi et d’autrui.
On l’utilise parfois pour exprimer la responsabilité de soi et des autres. Dans ton contexte, on pourrait l’adapter pour dire que dans le kata, on agit en respectant son propre soi à protéger, comme un adversaire invisible est là pour mettre à l’épreuve cette protection.
「気合」(kiai) – énergie, cri de combat.
Plus symbolique, il exprime le moment où le soi qui agit se connecte pleinement au soi à protéger. C’est l’instant où l’énergie interne devient défense et affirmation de soi.