La Voie Intérieure

 


Les grands maîtres et le chemin au-delà du combat

Le kata est parfait, le coup de poing traverse l’air comme un éclair, l’adversaire tombe sans que l’on ait vu le mouvement. Et pourtant, à l’instant où le silence revient dans le dojo, les plus grands maîtres vous diront la même chose : ce n’était rien. Le vrai combat n’a jamais eu lieu sur le tatami. Il se livre chaque jour, à l’intérieur.

Morihei Ueshiba : « Je ne combats plus personne depuis 1925 »

En 1925, après avoir désarmé un officier de marine au sabre sans le toucher, O-Sensei traverse une expérience qu’il décrira jusqu’à sa mort comme une « illumination ». « L’univers entier est devenu doré. J’ai compris que je faisais partie du Tout et que le Tout faisait partie de moi. À cet instant, j’ai pleuré comme un enfant. » À partir de ce moment, il ne parlera plus jamais de « vaincre l’adversaire » mais de « réconcilier les opposés ». Ses dernières années, il répétait à ses élèves : « Vous croyez que vous venez apprendre à vous battre. En réalité, vous venez apprendre à aimer. »

Jigoro Kano : la défaite qui sauva le judo

En 1886, lors d’un randori amical, le jeune Kano (26 ans) est projeté violemment par un pratiquant de ju-jutsu traditionnel plus lourd que lui. Au sol, au lieu de la colère, il ressent une joie étrange : il vient de comprendre que la vraie victoire n’est pas de dominer l’autre, mais de ne plus avoir besoin de le dominer. Cette défaite deviendra le cœur du principe « ju » (souplesse). Des décennies plus tard, sur son lit de mort en 1938, il murmure à ses élèves : « J’ai passé ma vie à enseigner comment tomber. C’est la chose la plus importante que je vous laisse. »

Gichin Funakoshi : la nuit où il cessa d’avoir peur

À 53 ans, Funakoshi vit seul dans une petite maison de Tokyo, pauvre, malade, loin d’Okinawa. Une nuit, il entend du bruit dehors. Des voleurs. Au lieu de prendre un bâton ou de fuir, il s’assoit en seiza au centre de la pièce, ferme les yeux et attend. Les voleurs entrent, voient ce vieil homme immobile et serein… et repartent sans rien prendre. Le lendemain, il écrit dans son journal : « Hier soir, pour la première fois de ma vie, je n’ai plus eu peur de mourir. Le karate-do venait d’entrer dans mon cœur. »



Kyuzo Mifune : le « dieu » qui pleurait en secret

Mifune, 1,59 m, projetait des géants comme des feuilles mortes. On le surnommait « le dieu du judo ». Pourtant, ses élèves les plus proches savaient : chaque soir, après l’entraînement, il montait seul au premier étage du Kodokan, s’asseyait face au mur et pleurait parfois pendant une heure. Un jour, un jeune dan lui demanda pourquoi. Mifune répondit doucement : « Parce que je sais que je ne serai jamais assez bon. Plus je pratique, plus je vois à quel point je suis loin de la vraie souplesse. La souplesse du cœur est infinie. »

Koichi Tohei : l’épreuve du cancer

En 1993, on diagnostique à Tohei-sensei un cancer en phase terminale. Les médecins lui donnent quelques mois. Au lieu de se battre contre la maladie, il décide de « l’accueillir ». Chaque matin, il pratique une heure de méditation assise, puis enseigne debout malgré la douleur. Il survit seize ans de plus, jusqu’à 91 ans. À ceux qui lui demandaient son secret, il répondait : « J’ai étendu mon ki jusqu’à inclure la maladie. Quand vous n’avez plus d’ennemi intérieur, il n’y a plus de maladie. »

Kenji Tokitsu : le silence après le bruit

Tokitsu, maître de karate et chercheur, écrit dans ses carnets à 70 ans : « J’ai passé quarante ans à frapper plus vite et plus fort que les autres. Puis un matin, j’ai compris que le vrai kata n’était pas celui des poings, mais celui du souffle qui reste quand les poings s’arrêtent. Depuis, je pratique en silence. Le bruit était dehors. Le silence était déjà en moi. »

La Voie intérieure : ce qu’ils ont tous découvert

Au-delà des styles, des époques et des tempéraments, les grands maîtres finissent toujours par dire la même chose, avec des mots différents :

  • Le véritable adversaire n’a jamais été l’autre.
  • La technique n’est qu’un miroir : elle révèle ce que vous êtes à l’intérieur.
  • Le jour où vous cessez de vouloir gagner, vous commencez enfin à pratiquer.
  • Le Do n’est pas une route qui mène quelque part. C’est reconnaître que vous êtes déjà arrivé, mais que vous aviez oublié de le voir.

Un vieux maître de kendo l’a résumé mieux que quiconque, un soir d’hiver, en rangeant son sabre : « Tant que vous levez le shinai pour vaincre quelqu’un, vous êtes un débutant. Le jour où vous le levez simplement parce qu’il fait partie de vous, comme votre bras ou votre souffle… ce jour-là, vous commencez à peine. »

Et c’est là tout le paradoxe de la Voie intérieure : elle commence exactement au moment où vous acceptez qu’elle n’ait pas de fin.

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