Une leçon d’Ankō Itosu sur le bunkai des Pinan
La cour est silencieuse. Le sable encore humide garde les traces des zenkutsu dachi répétés. Itosu s’avance, son regard bienveillant mais perçant, et déclare :
« Le kata n’est pas une danse. Chaque geste est une réponse à une attaque réelle. Si vous ne voyez pas l’ennemi, vous ne pratiquez rien. »
Les élèves hochent la tête. Il choisit trois jeunes, les place devant lui, et commence.
Pinan Shodan
Un élève exécute un gedan barai.
Itosu le corrige :
« Ne pense pas que c’est seulement un blocage de jambe. Ici, regarde… »
Il attrape le bras de l’élève, tire brusquement vers le bas et pivote avec le mouvement. L’autre perd l’équilibre et tombe presque au sol.
« Gedan barai est aussi un otoshi waza (technique de projection). Ce bras que tu crois balayer, tu l’utilises pour déchirer la garde et faire chuter. »
Puis il ajoute doucement :
« Souviens-toi, les gestes les plus simples cachent les secrets les plus profonds. »
Pinan Nidan
Itosu fait signe à un élève d’attaquer avec un tsuki.
Il exécute alors le age uke. Mais il ne s’arrête pas là : il saisit le poignet, pivote la hanche et frappe aussitôt avec le gyaku tsuki.
« Age uke n’est pas seulement un bouclier. C’est une clé pour contrôler le bras adverse. Regarde bien : je bloque, je saisis, et je renverse le rapport de force. »
Il sourit.
« Dans chaque défense, cache une attaque. Dans chaque attaque, cache une défense. »
Pinan Sandan
Les élèves pratiquent en kiba dachi, exécutant les mouvements latéraux.
Itosu s’approche :
« Ce n’est pas une simple parade latérale. C’est une hiji ate (frappe de coude) camouflée. Quand tu pivotes, imagine l’ennemi à ton flanc. Ton coude est une corne de buffle. »
Il donne un léger coup de coude dans le ventre d’un élève surpris, qui se plie aussitôt.
« Voilà la vérité du mouvement. Si tu restes à la surface, tu n’auras que des gestes vides. »
Pinan Yondan
Il fait exécuter la séquence des blocages en shuto uke.
Puis il explique :
« Shuto uke est une barrière, mais aussi un sabre. Utilise la hanche, coupe dans la gorge, dans les côtes, ou saisis et casse. »
Il attrape soudain un élève par le col, tire et frappe avec le tranchant de la main.
« Ici se trouve le karaté : dans l’alliance du blocage, de la saisie et de la contre-attaque. »
Pinan Godan
Enfin, il montre la fameuse séquence de sauts.
Un élève bondit maladroitement. Itosu éclate d’un petit rire sec.
« Tu sautes comme une grenouille fatiguée. Regarde : ce saut n’est pas pour voler. Il est pour écraser. »
Il reprend : bondit haut, retombe en kiba dachi puissant, et frappe immédiatement d’un uraken.
« L’idée est d’éviter un balayage, puis de retomber avec la force de la gravité pour écraser ton ennemi. Le ciel te donne la force, le sol te donne la stabilité. »
Une parole d’Itosu
En fin de cours, il rassemble tout le monde et répète une de ses maximes, tirée de ses lettres aux autorités d’Okinawa :
« Le karaté est comme l’eau chaude. Si tu ne continues pas à le chauffer, il redeviendra froid. »
Il conclut :
« Répétez les Pinan chaque jour. Pas pour les montrer, mais pour les comprendre. Mille fois, dix mille fois. Alors seulement, le karaté s’ouvrira à vous. »

Commentaires
Enregistrer un commentaire