Fumio Demura (出村文男, 1938-2023)
Le soir descendait sur Kobe. Dans la cour du petit dojo, les cigales chantaient encore. Un jeune homme mince répétait sans fin son kata. Ses pieds s’ancraient sur le sol rugueux, ses mains fendillaient l’air comme des oiseaux pressés. Il ne cherchait pas la perfection : il cherchait une vérité. Déjà, on lisait dans ses gestes cette intensité qui ne le quitterait jamais.
Des années plus tard, ce même jeune homme, désormais maître, posa le pied sur un sol étranger. L’Amérique s’étendait devant lui, vaste, bruyante, curieuse. Dans ses valises, rien de précieux : juste un kimono usé et un cœur ardent. Mais dans ses bras, il portait invisible un héritage : le souffle des katas de Sakagami, les racines d’Okinawa, la force de tous les anciens.
Au début, personne ne comprenait vraiment ce qu’il montrait. Les Américains frappaient fort, mais leurs gestes étaient vides. Alors il souriait, il riait parfois, et recommençait patiemment : « Non. Respire. Sens la terre. Laisse ton poing jaillir comme une source. » Peu à peu, les regards changèrent. Ce petit homme au sourire malicieux, ceinture noire serrée comme une promesse, devint un phare.
Dans les dojos californiens, ses démonstrations de kobudō enflammaient les foules. Le nunchaku sifflait dans l’air comme un serpent de feu. Le bo tournoyait autour de lui tel un cyclone dompté. Mais jamais il ne se laissait griser par l’admiration : il savait que derrière chaque arme, chaque geste, il y avait la simplicité du cœur.
Parfois, le soir, après l’entraînement, ses élèves le voyaient s’asseoir seul, dans le silence. Il fixait l’horizon comme s’il parlait à ses maîtres restés au Japon. On devinait alors sa solitude, ce poids invisible qu’il portait. Mais au matin, il revenait toujours avec le même éclat dans les yeux, prêt à enseigner, prêt à donner.
Puis vint le cinéma. Derrière l’image du maître Miyagi, c’était lui, Fumio Demura, qui prêtait son souffle au personnage. Les enfants du monde entier imitaient les mouvements vus sur l’écran, ignorant que, quelque part en Californie, un petit Japonais riait doucement de cette magie qu’il avait déclenchée sans le chercher.
Et quand la maladie, plus tard, ralentit son corps, son esprit resta vif. Même assis, même fatigué, il pouvait lancer un regard qui perçait comme une lame. Un élève raconta : « Quand il m’observait, j’avais l’impression que tout mon mensonge tombait. » Car Demura voyait au-delà du mouvement : il voyait l’âme.
Aujourd’hui, son nom flotte comme un parfum. Pas seulement dans les dojos de Shitō-ryū, mais dans chaque salle où un pratiquant occidental découvre que le karaté n’est pas un sport, mais une voie.
Il n’a pas transmis un style, il a transmis une manière d’habiter l’art.
Et son héritage résonne comme une phrase simple, que l’on entend presque dans le vent :
« Le karaté n’est pas à garder. C’est à donner. Donne, et il vivra. »

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